La vie intérieure du vagin »

25/02/2013

L'extracteur de sperme qui met de bonne «humeur»

Elle constituait la base de la médecine jusqu'au 19e siècle… Reléguée au rang de billevesée, la théorie des humeurs n'a cependant pas fini de hanter notre inconscient. Nous pensons qu'il y a des liquides qui doivent sortir du corps, parce qu'ils sont en trop. Il faut les faire couler… sinon on a des sautes d'humeur, voire pire.

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Si vous tapez les mots «vagin artificiel», sur internet, vous tombez presque immédiatement sur cette définition : «Tube de collecte du sperme des mâles reproducteurs employé dans les centres d'insémination artificielle». Si vous continuez la recherche, vous trouvez la vidéo d'un «extracteur automatique» que les Chinois ont mis au point récemment afin d'améliorer les rendements de collecte. L'extracteur est une machine en mode «main-libre», c'est à dire dotée d'un orifice mobile  qui va et vient de façon mécanique : il suffit que le mâle (reproducteur, donc) insère son pénis et se laisse traire comme une vache. Plus besoin de se fatiguer. La machine pompe, remue et vibre énergiquement, jusqu'à aspirer la dernière goutte d'un liquide qui, s'il faut en croire les médecins, ne doit pas rester stocké dans les bourses, car cela nuit à la santé. Il y a deux fois moins de cancers de la prostate chez les hommes qui se soulagent régulièrement, disent-ils… Et probablement deux fois moins de divorce, de crises cardiaques ou de délinquance : on attend les études qui nous le prouveront, noir sur blanc.

Faut-il s'en étonner ? Les marchands de sextoys pour homme ont adopté le même discours hygiéniste que les thérapeutes. Leurs vagins artificiels sont vendus comme de précieux adjuvants à la vie de couple (il s'agit de soulager les épouses qui s'ennuient ferme lorsqu'on les pénètre) et surtout comme d'indispensables objets de salubrité publique  : videz-vous, ça fait du bien. Videz-vous, ça vous calmera.

Continuant à taper «vagin» sur internet (il y a  des jours comme ça…), on finit d'ailleurs par trouver ces salvateurs objets. Sur le site marchand américain Amazon, ce n'est pas le livre Les monologues du vagin qui sort en premier avec ce mot-clé, c'est le Fleshlight vagin Lotus Katsuni. Les Fleshlight sont des gadgets sexuels pour homme en forme de lampe-torche (flash-light en Anglais). Ils sont tapissés à l'intérieur d'un élastomère gélatineux destiné à la pénétration. Leur embouchure caoutchouteuse reproduit une vulve de porn-star et c'est apparemment ce qui fait leur succès car les consommateurs de vagins artificiels réclament davantage qu'un orifice déshumanisé. Dans son anthologie The big book of Pussy, Diane Hanson raconte  : «Si Fleshlight est le sextoy le plus vendu au monde, c'est en grande partie parce que les différents modèles portent le nom de stars du porno. Pourquoi baiser du latex anonyme quand on peut baiser Riley Steele, Eva Angelina, Jenna Haze, Lupe Fuentes, Tera Patrick et Katsuni  ? Ou tout du moins un moule très détaillé de leurs vulves dissimulé dans une lampe-torche factice».

Ainsi donc, les moulages de vulve offrent l'illusion de se satisfaire dans une femme et pas n'importe laquelle. Katsuni, par exemple. Non seulement elle a été payée pour que la firme fasse l'empreinte de son sexe mais elle perçoit un pourcentage sur chaque vente. Le créateur des Fleshlight gagne lui-même des sommes faramineuses sur la commercialisation de ces vagins haut de gamme. Il s'appelle Steve Shubin et dans une longue, passionnante interview accordée à Diane Hanson, il livre sur l'univers des ersatz vulvaires d'étonnantes analyses… dont la portée dépasse probablement sa pensée.

«Je n'ai pas créé ce produit juste pour que les gars aient un nouveau jouet, dit-il. Je ne pense pas que la femme soit sur Terre pour satisfaire les désirs sexuels des hommes. C'est à l'homme d'en prendre la responsabilité. Je voulais créer une alternative valable à la branlette manuelle, pour que les femmes n'aient plus à subir nos pulsions. (…) Nous mettons les hommes au défi de gérer leurs désirs de façon saine et propre. Un organisme qui n'est pas entretenu correctement provoque des problèmes physiques et psychologiques.» Pour Steve Shubin, les reproductions de vagin ont la valeur de garde-fou. Ils protègent les femmes d'assauts indésirables et, mieux encore, ils protègent les hommes de leurs propres penchants destructeurs.

Baiser, écraser et jeter 

Car, estime Steve, rien n'est plus dangereux qu'un homme rendu hystérique par le manque. S'il ne décharge pas, il peut prendre une arme à feu. «Je suis un ancien flic de la région de Los Angeles», argumente-t-il. Sous-entendu : je sais de quoi je parle. Lorsque sa femme était tombée enceinte, il y a environ 20 ans, l'oeuf s'étant dédoublé, un médecin avait dit au couple : «Vous allez avoir des jumeaux, vous avez la quarantaine tous les deux, c'est une grossesse à risque. Il faut éviter tout rapport sexuel pendant neuf mois.» «La claque aurait été moins douloureuse s'il m'avait annoncé que j'avais un cancer, raconte Steve Shubin, parce que subir une chimio, cela ne me fait pas peur, mais pas de sexe pendant neuf mois, c'était une perspective terrible. Mon ancien métier de flic m'a appris comment les gens expriment leur frustration sexuelle, ce n'est pas joli».

Bien décidé à ne pas tromper sa femme, bien décidé surtout à ne pas craquer nerveusement, Steve Shubin entre dans des sex-shops à la recherche d'une solution. Hélas, «la seule chose qu'ils proposaient étaient ces horribles machins en plastique qui font leur mauvaise réputation.» Steve ressort, dégoûté. «Quand j'étais flic, j'étais déjà entré dans des magasins pour adulte, mais c'était plutôt à la poursuite d'un taré qui traversait la boutique pour sortir par-derrière», dit-il. Rentrant chez lui après cette tentative infructueuse, Steve décide alors de se fabriquer pour lui-même un « élément corporel à usage sexuel» qu'il fabrique en mélangeant des polymères avec de l'huile minérale sur une plaque électrique. Moins de cinq ans plus tard, le voici à la tête d'une entreprise de 300 salariés, fier non seulement de sa réussite, mais du cadeau qu'il a fait aux femmes  : grâce au Fleshlight, les malheureuses n'ont plus à servir de serpillères ni d'éponges. Les hommes peuvent se vider dans un produit élégant et surtout «responsable», affirme-t-il, ajoutant, avec un mélange de démagogie et de brutalité :

«Vous savez, je dis souvent que Fleshlight c'est la seule chose que vous pouvez baiser, écraser et jeter par la fenêtre à grande vitesse sans aller en prison. S'il faut que cela sorte, allez-y, et ensuite vous pourrez avoir une vraie relation».

Que peut-on déduire de ces propos ? Que Steve se considère comme un bienfaiteur de l'humanité ? Ou que les mâles de l'espèce humaine ne sont à ses yeux que des criminels en puissance, portant leurs testicules en bandoulière et leurs munitions de sperme, chargés à bloc de testostérone, de rage et de fureur ?

De la théorie des humeurs

Il est presque impossible, lorsqu'on lit son témoignage, de ne pas faire le lien avec ces croyances anciennes qui perdurent en Occident jusqu'au 19e siècle et qui attribuent l'origine des désordres à des «débordements» organiques. Les fluides ne sont pas sortis, pense-t-on. En quantité trop élevées, ils ont fini par corrompre l'organisme et l'âme des patients… D'où vient cette croyance ? De la théorie des humeurs. Au 5e siècle avant J-C, le traité De la nature de l'homme, attribué à Hippocrate, énonce les axiomes qui structurent encore de nos jours l'imaginaire occidental. La nature de l'homme, c'est d'avoir des humeurs, littéralement des fluides organiques dont la quantité peut varier dans le corps : le sang, le flegme, la bile et l'atrabile. En cas de déséquilibre, les maladies physiques et psychiques se déclenchent…

Une personne trop sanguine devient trop émotive, voire apoplectique. Elle fait «un coup de sang» et jusqu'au 18e siècle le seul remède est la saignée. Sous l'effet d'une surdose de flegme (une substance maintenant appelée synovie), la voilà qui sombre dans un état d'apathie profonde. Le bilieux, lui, se «fait de la bile» : inquiet, nerveux, il est enclin à des colères qu'il ne maîtrise plus. Quant à l'atrabilaire, saisi par la mélancolie, il devient triste à en mourir… et cède parfois à la folie, dans une alternance d'états dépressifs et d'états extatiques. C'est un bi-polaire, souffrant de ce que le DSM nommait autrefois une «psychose maniaco-dépressive».

Dans une magistrale étude sur Le sang noir, l'éthnologue Bretrand Hell souligne que jusqu'à l'invention du vaccin contre la rage, les médecins continuent de traiter les patients à l'aide de purges et de vidanges. Il s'agit de les protéger contre un bouillonnement excessif des humeurs, car elles poussent les êtres à attraper des fièvres. Sous l'effet de la canicule, les femmes devienne des «dévoreuses de mâle» affirme Aristote (Problème XXX). Quant aux hommes, ils ont tout intérêt à faire l'amour en été, car la «rétention du sperme est perçue comme une menace virtuelle de dessèchement et de maladie. Cette conviction découle d'une conception très ancienne selon laquelle la semence masculine est une substance particulièrement chaude et sèche. Pour les Pythagoriciens, elle véhicule un souffle igné, et toute la médecine antique, puis médiévale, explique la génération en termes d'embrasement et d'ébullition. (…) L'absence de coït favorisant les affections mélancoliques, les médecins n'hésitent pas, à l'exemple de Constantin l'Africain (Opera) ou d'Avicenne (Canon III), à prescrire à leurs patients des rapports sexuels réguliers» (1).

Au 2e siècle, Rufus d'Ephèse écrivait  : «Le commerce charnel apaise la fureur.» Au 19e siècle, des vétérinaires corroborent la croyance selon laquelle les chiens privés de coït contractent souvent la rage. Pourquoi ? Parce que le sperme s'est calciné en eux. De la même manière, les êtres humains peuvent devenir sauvages et retourner à l'état de bête s'ils laissent des humeurs stagner, car elles finiront par se coaguler, devenir noires et dégager des fumées âcres comme un poison… De façon significative, les personnes frappées par la rage sont d'ailleurs associées à des chiens, symboles du désir torturant. Tout comme les chiens, les malades de la rage entrent d'ailleurs dans des fureurs bestiales telles qu'il faut les garotter dans leur lit… «La puissance physique de l'enragé se prolonge dans une ardeur sexuelle non moins stupéfiante, rapporte Bertrand Hell, les témoins signalent une érection persistante et un phénomène d'éjaculation continuelle. Ce déchaînement sexuel des malades n'étonne pas. On estime qu'il répond, sur le plan physiologique, à la nécessité d'expulser un liquide séminal devenu brûlant».

Les enragés eux-mêmes sont tellement persuadés qu'ils sont en train de se métamorphoser en chien qu'ils demandent à leurs proches de les mettre hors d'état de nuire, terrifiés par l'envie qu'ils ont de mordre et de transmettre à leur tour cette fureur sexuelle. La plupart adoptent des postures animales, aboient, grincent des dents, avancent à quatre pattes et menacent constamment de sucer le sang des autres, voire de manger de la chair humaine. La peur de la contagion est telle que l'église et les autorités ordonnent la mise à mort des malades : des bonnes âmes se chargent de les étouffer dans leur lit, de les empoisonner ou de leur ouvrir les veines. Les médecins eux-mêmes font œuvre de salubrité publique en exécutant des contaminé(e)s. Il arrive que des régiments soient chargés d'abattre à coups de fusil des villages entiers par peur de l'infection. Balzac, en 1810, propose un projet de loi au gouvernement interdisant l'étranglement et l'étouffement des enragés. Même les lépreux sont soignés et reçoivent la sainte onction dit-il, pourquoi abattre les malades de la rage ?

Bertrand Hell répond  : «Il s'agit d'annihiler le ferment de bestialité que l'enragé introduit au sein de la société.» Les fondements de cette peur collective n'ont pas disparu. Au 21e siècle, il y a encore des hommes pour dire qu'il est préférable de se vider de sa fureur plutôt que de rester sur sa faim… Qu'il est préférable de baiser un sextoy, puis de le détruire, parce que ça fait du bien… Le désir nous possède tous et toutes. Nous l'avons dans le sang, dans le sperme, dans la bile et nous devons veiller à ce qu'il ne nous consume pas.

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